Le complexe granulome éosinophilique félin est l’un des trois grands syndromes dermatologiques observés chez le chat, avec la dermatite miliaire et l’alopécie auto-induite. Plus le temps passe, plus le terme de complexe granulome éosinophilique (CGE) félin et les différents éléments qui le composent apparaissent impropres.

De plus en plus, on propose ainsi d’éviter de parler de plaques éosinophiliques, de granulome éosinophilique et d’ulcère atone. En effet, il s’agit de l’association de termes cliniques et histologiques qui, par ailleurs, ne traduisent pas entièrement la réalité.

Utilités des éosinophiles

Les éosinophiles font parties des cellules mal étudiées, chez les animaux de compagnie comme chez l’homme. Initialement, l’hypothèse était qu’ils n’intervenaient que dans les défenses immunitaires de l’organisme vis-à-vis de parasites, notamment les helminthes.
Progressivement, leur importance dans certaines dermatoses, parmi lesquelles les dermatites allergiques, a été découverte.
Au départ, les éosinophiles se trouvent dans le flux sanguin. Puis, par chimiotactisme, ils traversent les vaisseaux pour gagner le site inflammatoire où ils sont alors activés. Cette activation induit la libération de nombreuses molécules proinflammatoires et immunomodulatrices. Ils entraînent également la libération, notamment par dégranulation, de molécules cytotoxiques pouvant agir sur les helminthes, les bactéries, les virus et les cellules tumorales.

 

Eosinophile de chat au microscope
Photo 1 : Éosinophile de chat

 

Le complexe granulome éosinophilique félin se rapproche du syndrome de Well, observé chez l’homme. Notamment parce que les piqûres de certains arthropodes, ainsi que la présence de quelques champignons et l’ingestion de certains médicaments, peuvent entraîner l’apparition de ce syndrome dans l’espèce humaine. Toutefois, comme chez le chat, l’étiopathogénie du syndrome de Well n’est pas complètement connue. Il se manifeste par des plaques éosinophiliques essentiellement localisées au niveau des extrémités. Les lésions peuvent disparaître spontanément. Lors de la phase active de la dermatose, une hyperéosinophilie est notée.

L’observation d’une plaque, d’un granulome éosinophilique ou d’un ulcère atone sur un animal permet simplement de qualifier la présence d’un complexe granulome éosinophilique, mais ne permet en aucun cas le diagnostic. En effet, cette affection peut être secondaire à de nombreuses causes. Ainsi, elle n’est que la manifestation d’un processus réactionnel en réponse à des stimuli variés. Elle peut être due à une dermatite allergique à des arthropodes, à un trophallergène ou à un aéroallergène, mais peut également être secondaire à une dermatose infectieuse ou a une cause chimique.

Ce complexe granulome éosinophilique peut aussi être congénital. Toutefois, dans bon nombre de cas, il est idiopathique. Mais cela ne signifie pas qu’il faille nécessairement négliger la recherche d’une cause sous-jacente. Il existerait par ailleurs une prédisposition génétique, ce qui expliquerait notamment que même si de nombreux chats présentent une dermatite allergique, relativement peu sont atteints d’un complexe granulome éosinophilique.

Ce complexe peut se manifester par une plaque ou un granulome. Il s’agit de lésions érythémateuses, fermes et alopéciques. Elles peuvent être observées à de nombreux endroits du corps. Les granulomes sont généralement linéaires et habituellement localisés au niveau de la face caudale des cuisses. Il existe également une variante buccale et une autre mentonnière, qui sont non linéaires. Le granulome apparaît plutôt chez les jeunes chats, et la plaque chez l’animal adulte.

 

Photo 2 : Granulome éosinophilique

 

Le complexe granulome éosinophilique peut également se manifester par un ulcère d’aspect luisant, sans saignement, avec une coloration allant du jaune au marron. Il s’observe au niveau de la lèvre supérieure et débute souvent en face d’un croc. Il peut être unilatéral ou bilatéral et symétrique. Cet ulcère est non douloureux et non prurigineux, à la différence des plaques et des granulomes qui peuvent occasionner un prurit parfois intense. Lorsqu’il existe, des érosions sont en plus observées sur ces lésions. Par ailleurs, il est possible que des plaques et des granulomes existent de façon concomitante sur un même animal.

 

Photo 3 : Ulcère atone

 

Ces lésions peuvent persister, mais aussi disparaître spontanément. Ce qui témoigne simplement de la méconnaissance de ce syndrome et de la pluralité des causes sous-jacentes.

Une controverse existe à l’heure actuelle sur l’inclusion ou non de la dermatite miliaire et de la dermatite allergique due aux piqûres de moustiques dans le complexe granulome éosinophilique, car il existe des similitudes d’un point de vue histopathologique.

L’identification d’une cause sous-jacente est une nécessité. Dans un premier temps, il est important de confirmer le complexe granulome éosinophilique. Un calque cutané est ainsi réalisé sur les lésions pour démontrer la présence d’éosinophiles. Il est également possible d’observer des neutrophiles dégénérés et des bactéries intracellulaires ou extracellulaires en plus ou moins grand nombre. En cas de doute, des biopsies cutanées sont effectuées. Parallèlement, il est essentiel d’éliminer toutes les dermatoses incluses dans le diagnostic différentiel. S’il est extrêmement vaste, il convient surtout de tenir compte de la forme du complexe granulome éosinophilique (plaque, granulome ou ulcère) et de la localisation des lésions.

Une fois le complexe confirmé, il est nécessaire d’en rechercher la cause. Dans un premier temps, une prévention antipuces draconienne est instaurée, en partant du principe que la principale dermatite allergique du chat est celle par allergie aux piqûres de puces. Si nécessaire, une antibiothérapie est mise en place concomitamment. En cas d’amélioration, cette prévention est poursuivie, tout en sachant que certains cas se résolvent spontanément et donc que seul le temps permet de dire si cette régression a été spontanée ou a fait suite à la prévention antipuces. Si aucune amélioration n’est observée, une corticothérapie par voie orale de courte durée est instaurée. Lorsque le complexe granulome éosinophilique récidive fréquemment ou systématiquement à l’arrêt de la corticothérapie, une exploration allergologique est réalisée. La mise en évidence d’une allergie alimentaire est notamment recherchée. Si l’animal n’en présente pas, des tests cutanés peuvent éventuellement être effectués, en prévenant les propriétaires des limites de cet examen complémentaire. Le but est éventuellement de procéder à une désensibilisation.

Pour faire régresser les lésions ou éviter leur réapparition, les corticoïdes peuvent être employés, mais des alternatives existent.

Des antihistaminiques, comme la chlorphéniramine, peuvent être essayés. Il est également possible d’utiliser des acides gras essentiels, mais ils nécessitent une longue administration avant déjuger de leur efficacité.

D’autres molécules plus récentes peuvent aussi être employées, comme le PLR120, un analogue du palmitoyl-éthanolamide qui inhibe notamment la dégranulation mastocytaire. Une étude pilote a montré qu’il permet de contrôler partiellement le complexe granulome éosinophilique.

Parfois chez certains chats, des molécules immunosuppressives doivent être employées. Le chlorambucil, en association avec les corticoïdes, est essentiellement utilisé dans cette espèce. L’azathioprine est particulièrement myélotoxique chez le chat et ne doit donc pas être employé.

Il serait également possible de faire appel à la ciclosporine, mais seules des études préliminaires ont été réalisées. Les résultats semblent encourageants. Ainsi, même si le CGE présente une forte prévalence chez chat, force est de constater que l’on connaît encore peu de chose, et que malheureusement nos connaissances n’ont que peu évolué ces dernières années. Gageons que cela changera dans les années à venir.

Bibliographie

  • Fondati A. Feline eosinophilic skin diseases. 2002, Proceedings ESVDECVD congress, Nice, pp 135139
  • Fondati A. Fondevilla D., Ferrer L. Histopathological study of feline eosinophilic dermatoses. 2001, Vet. Dermatol., Vol. 12, pp 333338
  • Degorce Rubiales F., Prelaud P ; Le complexe granulome éosinophilique. 1999, Proceedings 14èmes journées annuelles du GEDAC, pp 7582
  • Power H., Ihrke P. Selected felien eosinophilic skin diseases. VCNA, 1995, Vol. 25, 4, pp 833850
  • Rosenkrantz W. Feline eosinophilic granuloma complex. In: Current Vétérinary Dermatology.
  • The science and art of therapy. Griffin C., Kwochka K, MacDonald J., Eds St Louis. Mosby Year Book, 1993, pp 319324.

Auteur

Dr. William BORDEAU
Consultant exclusif en dermatologie
Cabinet Vetderm 1, avenue Foch – 94700 MAISONS ALFORT
http://www.cabinetvetderm.fr

Article offert par

logo vetopedia-conseils-veterinaires

Site de conseils vétérinaires

Merci de nous suivre et de partager