L’œdème cornéen est un symptôme relativement fréquent en ophtalmologie vétérinaire. Si sa mise en évidence est souvent aisée, la détermination de sa cause peut être plus difficile et doit toujours faire l’objet d’une démarche diagnostique raisonnée.
L’œdème cornéen se définit comme une hydratation excessive de la cornée ayant pour conséquence la perte de transparence cornéenne. Une coloration blanche et souvent bleutée de la cornée est alors observée.
Une perte partielle de la transparence cornéenne est appelée néphélion, tandis qu’une perte totale constitue un leucome.


Cornée et transparence cornéenne

La cornée constitue la limitante antérieure du globe oculaire.

Elle est composée, depuis l’extérieur vers la chambre antérieure :

  • de l’épithélium et de sa membrane basale ;
  • du stroma ;
  • de la membrane de Descemet ;
  • de l’endothélium.

La transparence de la cornée s’explique par :

croquis - œdeme corneen
  • la disposition régulière des fibres de collagène du stroma. En effet, les faisceaux de fibres sont parallèles entre eux, de diamètre uniforme et de striation périodique (Encadré “Disposition du collagène dans la cornée”).
  • la régulation de son hydratation. L’épithélium et surtout l’endothélium jouent un rôle de barrière et contrôlent l’hydratation cornéenne : l’épithélium contrôle l’hydratation cornéenne à partir des larmes, tandis que l’endothélium contrôle l’hydratation cornéenne à partir de l’humeur aqueuse.

Ce sont des mécanismes physiologiques passifs et actifs qui permettent le maintien d’un degré d’hydratation constant et compatible avec la transparence cornéenne. En particulier, il existe un mécanisme actif (la pompe ionique) qui déshydrate le stroma et qui réside principalement dans l’endothélium cornéen.

L’hypertension intra-oculaire aura tendance à favoriser l’hydratation cornéenne, par saturation des capacités de déshydratation de l’endothélium.

Les barrières épithéliale et endothéliale, ainsi que la pompe ionique endothéliale, s’opposent à une hydratation excessive de la cornée responsable de l’œdème.

Physio-pathologie de l'œdème cornéen

La connaissance de la physio-pathologie de l’œdème cornéen permet d’avoir une approche diagnostique raisonnée (Figure 1).

Dans une étude chez le lapin, il a été démontré que le retrait de l’épithélium entraîne un épaississement de la cornée de L’ordre de 200% en 24 heures. Le retrait de L’endothélium induit un épaississement de 500 %. L’endothélium cornéen, composé d’une seule couche de cellules, est un tissu très fragile. Ses capacités de régénération sont faibles. Les œdèmes secondaires à une destruction des cellules endothéliales sont donc souvent irréversibles.

Démarche diagnostique face à un œdème cornéen

Un recueil précis de l’anamnèse (race, âge, traumatisme, infection, vaccination, etc.) oriente le diagnostic.
L’étendue et le mode d’évolution de l’œdème permettent également d’évoquer différentes causes
(Tableaux “Causes à envisager suivant l’étendue de l’œdème cornéen” et “Causes à envisager suivant le mode d’évolution de l’œdème cornéen“).

Dans la démarche diagnostique, il convient de toujours partir du principe que les causes d’œdème cornéen sont
(Encadrés “Étiologie de l’œdème cornéen“) et “Démarche diagnostique face à un œdème cornéen“) :

  • une altération de l’épithélium ;
  • une atteinte de l’endothélium ;
  • une augmentation de la PIO.

> Test à la fluorescéine

Le test à la fluorescéine permet de mettre en évidence une éventuelle perte de substance épithéliale (ulcère, brûlure, plaie). Un œdème cornéen d’origine purement épithéliale est généralement peu étendu et peu profond.

Étiologie de l’œdème cornéen

Œdème secondaire à une lésion épithéliale

  • Kératite et ulcère cornées
  • Brûlure cornéenne (acides, bases)
  • Plaie cornéenne secondaire à un traumatisme pénétrant
  • Plaie chirurgicale (suture cornéenne)

Œdème secondaire à une décompensation endothéliale

  • Uvéite antérieure avec endothélite
  • Endothélite secondaire à une luxation antérieure du cristallin
  • Lésion endothéliale secondaire à une chirurgie intra-oculaire
  • Dystrophie endothéliale :
    •  congénitale ;
    •  de l’adulte, relativement rare (prédisposition raciale : Boston terrier, pinscher, chihuahua, chat de l’Ile de Man) ;
    •  associée à la persistance de la membrane pupillaire.
  • Dégénérescence endothéliale sénile (diminution progressive de la densité des cellules endothéliales)

Œdème secondaire à une hypertension oculaire

  • Glaucome aigu (œdème important)
  • Glaucome chronique (œdème discret)

Mesure de la pression intra-oculaire

  • La pression intra-oculaire (PIO) est mesurée à I’aide d’un tonomètre.
  • Une PIO inférieure à la normale (< 10 mm de Hg) oriente vers un diagnostic d’uvéite. Une pression supérieure à la normale (> 20 mm de Hg) permet d’établir un diagnostic de glaucome.
  • Lors de glaucome aigu, la PIO peut être très élevée (quelquefois supérieure à 50 mm de Hg). Lors de glaucome subaigu ou chronique ou lors d’uvéite hypertensive, l’augmentation de la PIO est généralement plus modérée (entre 25 et 45 mm de Hg).

Chez le chien, des poussées de glaucome avec une PIO très augmentée (> 50 mm de Hg) peuvent entraîner des ruptures de la membrane de Descemet. Ces ruptures s’accompagnent de lésions endothéliales localisées. Après le retour à une pression normale et l’éclaircissement de la cornée, la persistance d’un œdème cornéen peut alors être observée sous la forme de stries au niveau de ces lignes de rupture.

Une PIO normale (la moyenne classiquement admise étant de 17 à 18 mm de Hg) est évocatrice d’autres affections causales, telles que la dystrophie endothéliale ou la persistance de la membrane pupillaire.

Biomicroscopie

L’examen biomicroscopique est essentiel.

  • Il permet tout d’abord d’apprécier l’importance de l’ œdème et de le caractériser (localisé ou diffus, superficiel ou profond). L’épaisseur de la cornée est évaluée à l’aide de la lampe à fente qui réalise une coupe lumineuse fine de la cornée.
  • Le biomicroscope permet ensuite de rechercher :
    • une éventuelle luxation du cristallin, la luxation antérieure du cristallin entraînant une endothélite par frottement du cristallin contre l’endothélium ;
    • un effet Tyndall (dans le cas d’une uvéite antérieure) ou une persistance de la membrane pupillaire.
  • L’examen des milieux intra-oculaires (mise en évidence d’un cristallin luxé, examen de l’angle irido-cornéen par gonioscopie, etc.) est parfois nécessaire et peut être entravé par l’opacité secondaire à l’ œdème cornéen.
    Le recours à des agents osmotiques locaux permet alors de déshydrater la cornée et de rétablir ainsi une transparence cornéenne transitoire. Les agents à privilégier sont le sérum glucosé à 30 % ou une solution de NaCI hypertonique. La glycérine anhydre peut être employée dans le même but, mais est beaucoup plus douloureuse à l’instillation.
    Ces agents osmotiques permettent un éclaircissement de la cornée quelques minutes après l’instillation, qui persiste pendant 1 à 3 heures.

Conclusion

Le test à la fluorescéine, la tonomérie et la biomicroscopie (en lampe à fente) sont les trois examens qui permettent de déterminer la cause d’un œdème cornéen.
Dans cette démarche diagnostique, il convient de toujours avoir un tête les trois processus pouvant entraîner un œdème cornéen : atteinte épithéliale, atteinte endothéliale et augmentation de la pression intra-oculaire.
Le recueil d’une anamnèse minutieuse et la réalisation d’un examen clinique complet, confrontés aux résultats de ces trois examens permettent alors de préciser la cause de l’œdème et donc d’orienter son traitement.

Auteur et photographies

Dr. Laurent Bouhanna, DMV
Exercice exclusif en ophtalmologie vétérinaire, service d’ophtalmologie
17 bd des Filles du Calvaire – 75003 Paris.

Informations Ophtalmmologiques Vétérinaires > N° 2 > 1er trimestre 2007

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