L’insuffisance rénale est la première cause à l’origine du syndrome polyuro-polydipsie. Dans une étude effectuée sur 280 chiens souffrant de polyuro-polydipsie, l’insuffisance rénale est responsable de 80% des cas 1. Les polyuro-polydipsies dues à des hypercalcémies représentent dans cette même étude 4% des observations 1.
Parfois les deux syndromes sont associés et la question se pose de savoir s’il s’agit d’une insuffisance rénale par néphrocalcinose secondaire à l’hypercalcémie ou d’une hypercalcémie induite par l’insuffisance rénale. L’observation présentée illustre le diagnostic de l’association de ces deux syndromes.

Anamnèse

Un Shi-Tzu mâle de 5 ans est présenté en consultation pour un amaigrissement et un manque d’appétit qui persistent depuis trois semaines.
Les propriétaires qui possèdent quatre autres chiens, ont aussi constaté une augmentation progressive de la prise de boisson depuis des années.
Il y a trois semaines un confrère a examiné le chien à la suite du “mauvais état général”.
L’urine très claire prélevée par cathétérisme avait éliminé la possibilité d’une maladie de l’appareil urinaire.

Examen clinique

  • Le chien est maigre (5,3 kg pour un poids estimé à 6,5 kg); les muqueuses buccales et oculaires sont pâles.
  • La température rectale est de 38,8°C.
  • La prostate est volumineuse à la palpation.

Examens complémentaires

Examen des urines

  • Prélevées par cystocentèse, les urines sont de couleur jaune clair, limpides, leur pH est de 5, leur odeur normale, leur densité faible (1,008).
  • Il existe une protéinurie de 4+.
  • Le rapport U-protéines/U-créatinine (RPCU) est de 1,63 (mg/L).
  • Il n’y a pas de sédiment urinaire.

Examens de biologie sérique

  • Il existe une anémie normochrome normocytaire, non régénérative (hématies: 3,2×109/l, hémoglobine: 7,7g/100ml, le taux de réticulocytes est inférieur à 0,06 x109/l).
  • La S-créatinine est de 73 mg/l, le S-calcium de 128 mg/l, le S-phosphate de 115 mg/l.
  • Les concentrations de S-sodium, S-potassium, des protides totaux, de S-glucose et l’activité de l’ALAT sont comprises dans l’intervalle des valeurs usuelles.
  • Afin d’essayer de préciser la cause de l’augmentation notable de la calcémie, l’hormone parathyroïdienne est dosée par RIA (fragment 1-84, technique Nichols validée chez le chien.
  • La valeur est très élevée : 89 pmoles/l (N: 2 à 10 )*.

*Technique de dosage de la PTH: PTH two-sites assay. Allegro Intact PTH, Nichols Institute, San Juan Capristano, CA: un anticorps se fixe sur la région moyenne et le C terminal 39-84 de la PTH humaine, l’autre se fixe uniquement sur le N terminal 1-34 de la PTH humaine.

Échographie rénale

  • Les reins sont sensiblement de taille et de morphologie normale.
  • La corticale est homogène, d’une échogénicité faiblement augmentée et à de rares endroits légèrement amincie.

Diagnostic

La démarche diagnostique répond à plusieurs questions

  1. Quel sont les données les plus caractéristiques de ce cas clinique ?
    Le chien souffre d’une insuffisance rénale, associée à une hypercalcémie.
  2. L’insuffisance rénale est-elle aiguë ou chronique ?
    Cette insuffisance rénale est caractérisée par une polyuro-polydipsie qui semble dater de plusieurs années, une anémie normochrome, normocytaire, non régénérative, une installation progressive à bas bruit d’une asthénie, d’une dysorexie, d’un amaigrissement , un tableau clinique qui n’est pas dramatique et une absence de sédiment urinaire.
    Tous ces éléments permettent de diagnostiquer une insuffisance rénale chronique.
  3. Quel est le site néphronique lésé ?
    L’insuffisance rénale est ancienne, la polyuro-polydipsie notée depuis plusieurs années; elle est associée à une protéinurie modérée (RPCU de 1,63) avec une structure et une échogénicité rénale légèrement modifiée.
    Il n’existe par d’hyperéchogénicité à la jonction corticomédullaire que l’on rencontre souvent lors de néphrocalcinose secondaires aux hypercalcémies 2.
    Il est impossible d’envisager le site néphronique touché et le type de lésion; tout au plus, nous pouvons éliminer une glomérulopathie chronique, une pyélonéphrite chronique et penser en fonction de la race à une maladie histologiquement complexe telle qu’une dysplasie rénale.
  4. Quel est le mécanisme physiopathologique responsable de la lésion rénale ?
    Deux mécanismes physiopathologiques sont possibles

    • L’insuffisance rénale est secondaire à une hypercalcémie (néphrocalcinose sans autre lésion rénale spécifique)
    • L’hypercalcémie est secondaire à une insuffisance rénale. Dans un certain nombre de cas on peut parler d’hyperparathyroïdie tertiaire.

Les valeurs très élevées de l’hormone parathyroïdienne et la forte suspicion d’une néphropathie congénitale du Shi-Tzu orientent notre diagnostic vers la deuxième hypothèse d’autant plus que c’est dans le cas de néphropathies congénitale (Shi-Tzu, Lhasa apso, Alaskan Malamute, Doberman) que se développe une hyperparathyroïdie tertiaire 3, 4, 5.

Le pronostic est très réservé.

Traitement et évolution

  • Le chien est perfusé matin et soir avec des solutés de ringer lactate et de glucose isotonique.
  • Un chélateur des phosphates, des antiacides et des antiémétiques sont administrés.
  • Le troisième jour, une nécrose importante de la langue apparaît et les propriétaires demandent l’euthanasie.
  • Une autopsie est pratiquée : les reins sont macroscopiquement normaux avec de rares effondrements corticaux, les quatre parathyroïdes hypertrophiées.
  • L’histologie des principaux organes impliqués identifie une dysplasie rénale et des adénomes parathyroïdiens.

Photo 1 – Dysplasie rénale – Dilatation tubulaire
Photo 2 – Dysplasie rénale – Glomérule fœtal

 

Discussion

tableau explicatif - hyperparathyroidie tertiaire
Plusieurs éléments sont envisagés

Une anomalie congénitale à manifestation tardive

L’examen histologique confirme notre suspicion d’une dysplasie rénale (néphropathie familiale du Shi-Tzu). Les lésions rénales ont progressé lentement et silencieusement pendant des années avant d’aboutir à deux stades de l’insuffisance rénale, la polyuro-polydipsie puis l’insuffisance rénale terminale, seule véritablement bruyante. L’évolution est le plus souvent plus rapide, avant la fin de la première année 5. Les signes associés sont alors dramatiques lors de la période de croissance, donc plus évocateurs, tels que déficit staturo-pondéral et ostéodystrophie fibreuse (“Rubber Jaw”).

Les lésions rénales sont caractérisées par la présence de glomérules immatures dont le nombre est révélateur de l’avancement de la maladie. Viennent s’ajouter à terme des lésions non spécifiques (infiltrat interstitiel inflammatoire, calcification) 5, 6.

 La nécrose de la langue

C’est une lésion assez fréquente lors d’insuffisance rénale aiguë ou chronique (7 % des observations, observations personnelles). Il s’agit d’une nécrose ischémique de l’extrémité de la langue due à des mécanismes thrombotiques (nécrose fibrinoïde, artérite)7. S’ajoutent des lésions de brûlure par l’ammoniaque formée dans la bouche à partir de l’urée et de surinfection par la flore bactérienne modifiée.

L’hypercalcémie et l’insuffisance rénale: l’hyperparathyroïdie tertiaire.

La majorité des chiens et des chats insuffisants rénaux ont une calcémie normale ou légèrement augmentée.
Lors d’insuffisance rénale deux mécanismes diminuent le S-calcium

  • Une réduction de la formation du 1,25-hydroxycholécalciférol par diminution du parenchyme rénal fonctionnel.
  • L’augmentation de S-phosphate. Elle provoque une précipitation des sels phosphocalciques dans les tissus mous par saturation de la constante de solubilité.

L’hyperphosphatémie stimulerait aussi directement la sécrétion de PTH par des mécanismes indépendants des concentrations sériques en calcitriol et en phosphates.

L’organisme va corriger cette tendance à l’hypocalcémie par une augmentation de la sécrétion de la parathormone (hyperparathyroïdie secondaire à une insuffisance rénale).
C’est un mécanisme constant lors d’insuffisance rénale qui explique la normocalcémie.
En revanche, 10 à 20% des chiens présentent une hypercalcémie plus ou moins marquée (de 115 à 125 mg/l) 8.
Une observation fait état chez 61 chats insuffisants rénaux d’hypercalcémie dans 11,5% des cas 9.
L’hyperparathyroïdie tertiaire est aussi caractérisée chez l’homme comme chez le chien de notre observation par un adénome de la parathyroïde constitué de tissu hyperplasié 10.

Dés lors, il est difficile de différencier une hyperparathyroïdie primaire après la survenue d’une insuffisance rénale due à une hypercalcémie d’une hyperparathyroïdie tertiaire.

De façon très simple, il faut considérer que l’installation de l’insuffisance rénale due à la néphrocalcinose de l’hyperparathyroïdie primaire est plus rapide que l’installation d’une hyperparathyroïdie tertiaire.

D’autre part, statistiquement, l’hypercalcémie est plus modérée lors d’hyperparathyroïdie tertiaire (S-calcium inférieur à 130 mg/l) que lors d’hyperparathyroïdie primaire.

Le dosage de la PTH permet de conclure avant l’installation de l’insuffisance rénale (valeurs de 5 à 25 pmol/l, N entre 2 et 8 pmol/l).

C’est l’identification de la lésion rénale par ponction biopsie rénale qui permet de différencier avec certitude la physiopathologie de l’hypercalcémie donc l’origine de l’adénome (primitif ou réactionnel).

Conclusion

  • L’association dysplasie rénale et hyperparathyroïdie tertiaire est classique.
  • L’hyperparathyroïdie tertiaire tardive est une manifestation qui aggrave la lésion rénale et assombrit le pronostic.
  • Le diagnostic de cette lésion rénale congénitale aurait pu être réalisé plus précocement par le repérage de la dilution des urines, signe premier de l’insuffisance rénale.
  • C’est ainsi que l’analyse des urines systématiquement réalisée reste l’examen de routine de toute première utilité.

Références

  1. Atkins CE (1989) Polyuria and polydipsia. In: Textbooook of veterinary internal medecine, Third edition (Ettinger SJ, Edr),Saunders Co, Philadelphia, 139-147.
  2. Pagès JP (2001) Néphrocalcinose grave due à un lymphome. À paraître Prat Med et Chir Anim Comp.
  3. Finco DR et Rowland GN (1978). Hypercalcemia secondary to renal failure in the dog: A report of four cases. J Am Vet Med Assoc; 173: 990-994
  4. Burck RL et Barton CL (1978) Renal failure and hyperparathyroïdism in an Alaskan Malamute pup. J Am Vet Med Assoc; 172: 69-72
  5. O’Brien TD et Col (1982) Clinicopathologic manifestations of progressive renal disease in Lhasa apso and Shih Tzu dogs. J Am Vet Med Assoc; 180: 658-664
  6. Estrada M et Col (1990) La dysplasie rénale chez le chien Prat Méd Chir Anim de Comp; 25: 413-417
  7. Chew D et DiBartola S (1989) Diagnosis and pathophysiology of renal disease. In: Textbooook of veterinary internal medecine, Third edition (Ettinger SJ, Edr),Saunders Co, Philadelphia, 1893- 1961.
  8. Kruger JM, Osborme CA (1995) Canine and feline hypercalcemic nephropathy. In: Canine and feline nephrology and urology, Osborne CA et Finco DR (Lea & Febiger, Edr) A Waverly Co, Philadelphia, 416-440.
  9. DiBartola SP et al (1980). Clinicopathological findings associated with chronic renal disease in cats: 74 cases (1973-1984). J Am Vet Med Assoc; 190: 1196-1202.
  10. Krause MW et Hedinger CE (1985) Pathologic study of parathyroid glands in tertiary hyperparathyroidism. Human Pathol. 16: 772-784.

 

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